DU CODE JURIDIQUE AU CODE ALGORITHMIQUE – ESSAI DE PROSPECTIVE TACTIQUE POUR UNE RÉPONSE STRATÉGIQUE – Note 112 du CRGN

La vitesse et la technologie constituent des enjeux stratégiques. Dans son ouvrage « Vitesse et politique », Paul Virilio developpe le concept de « dromocratie » (du grec dromos « course » et cratos « pouvoir »). Dans une société fondée sur la « dromocratie », la vitesse constitue la valeur centrale qui structure et organise le pouvoir et l’ensemble des relations humaines.
Son contrôle devient un outil de domination politique et militaire.

I – Appréhender les dynamiques de pouvoirs

Les technologies de l’hypervitesse, concept développé par Asma Mhalla, bouleversent profondément nos repères cognitifs, sociaux et politiques, en instaurant une symbiose inédite entre sphères privée et publique, réel et virtuel, civil et militaire. Ce phénomène touche aussi le monde juridique, bien que de manière inégale : les autorités juridictionnelles, freinées par des contraintes légales et réglementaires strictes comme le RGPD ou le règlement sur l’IA, peinent à suivre cette transformation, tandis que les professions réglementées (Legaltech, Fintech, avocats, etc.) en tirent profit, soutenues par des politiques publiques et l’ouverture des données jurisprudentielles.

II – Analyser les effets systémiques

Il est question des effets systémiques de l’introduction des technologies « d’hypervitesse » dans le monde juridique. Il souligne les différences fondamentales entre les acteurs privés et publics face à cette transformation numérique, tant sur le plan structurel que juridique et éthique.

Le texte s’appuie sur le concept de « contentieux systémiques » développé par la Professeure Marie-Anne Frison-Roche. Ces contentieux dépassent les cas individuels pour révéler des dysfonctionnements structurels nécessitant des réformes profondes. La perception de ces contentieux diffère selon les acteurs : la sphère publique les voit comme des litiges classiques à visée punitive, tandis que la sphère privée y voit des actions collectives à but correctif et transformationnel.

Cette évolution modifie profondément le rôle des juges, qui deviennent des acteurs de transformation systémique. Leurs décisions peuvent influencer des politiques publiques ou des comportements économiques à grande échelle, soulevant des questions sur la séparation des pouvoirs. Le risque évoqué est que les magistrats se retrouvent à tenter de résoudre des problèmes politiques plutôt que strictement juridiques.

III – Acter des décisions stratégiques

Il s’agit d’ une réflexion sur les solutions à apporter face aux défis que représentent les technologies « d’hypervitesse » pour le monde juridique. Il cite le rapport sénatorial « Agir plutôt que subir » de décembre 2024, qui souligne la nécessité d’encadrer ces évolutions par un cadre normatif stable mais évolutif.

Le texte établit une distinction fondamentale entre le fonctionnement de l’intelligence artificielle, basée sur un modèle probabiliste, et celui du droit, qui repose sur un raisonnement rationnel mais non mathématiquement quantifiable. Si certains aspects du processus judiciaire peuvent être compatibles avec les technologies d’hypervitesse (examen des faits, application de règles), d’autres comme la détermination du sens de la décision et l’élaboration du raisonnement juridique ne peuvent être algorithmisés.

L’auteur insiste sur « l’humanité du juge » comme valeur irremplaçable, citant notamment l’instruction donnée aux jurés des cours d’assises sur l’intime conviction. Cette dimension humaine, qui implique la prise en compte du contexte, du ressenti d’audience et de l’expérience personnelle du juge, ne peut faire l’objet d’un traitement algorithmique.

Le texte conclut que « le probabilisme n’est pas un humanisme » et souligne l’importance de préserver les « humanités numériques » face à « l’accélération du temps et l’obsession de la vitesse » caractéristiques des technologies d’hypervitesse.

Note : https://www.calameo.com/read/002719292fbb42836664c